Des centaines de milliers de paysans du Henan, au centre de la Chine, croient flairer la bonne combine en vendant leur sang. Moins de 10$ la ponction dans des collectes souvent illégales. Mais, faute d'hygiène, la catastrophe les guette.

Le scandale du sang chinois fait de 500 000 à 700 000 victimes qui subissent l'ignorance puis l'omerta gouvernementale de 1994 à 2003. Le chat finit par sortir du sac lorsque les autorités centrales avouent.

C'est le grand bond de l'hépatite et du sida. Une opération médiatisée s'organise au plus haut sommet. Rien n'est réglé pour autant. L'ONU évoque même le chiffre possible de 10 millions de sidéens d'ici la fin de la décennie.

Pierre Haski, correspondant de Libération à Pékin, amorce sa première enquête terrain dès 2001 et déclenche aussitôt l'alerte en France. Les autres enquêtes avec le photographe Bertrand Meunier risquent de mal tourner avec la police locale et même les malades eux-mêmes: «On vous blesse et on vous contamine», leur lancent ces derniers pour les chasser des villages maudits d'où ils rapportent des images pathétiques. Même la traductrice subira plus tard des menaces. Heureusement, des sidéens finissent par saisir l'urgence de s'ouvrir à la presse.

Pierre Haski n'est d'ailleurs plus un inconnu en Chine depuis Le Journal de Ma Yan (2002), témoignage unique maintenant traduit en 17 langues.

La conspiration du silence a connu plusieurs exceptions courageuses. Médecins sans frontières, militants d'ONG et médecins chinois ont risqué beaucoup pour s'occuper des mourants et des orphelins. Un magazine chinois a comparé les volontaires de MSF à Norman Bethune, médecin canadien de la mythologie maoïste. Une gynécologue de plus de 70 ans, grand-mère Gao Yaojie, a acquis une notoriété tous azimuts par ses interventions. Après quelques mois de prison, le Dr Wan Yanhai, du P
Mais la muraille du silence ès maladies infectueuses est solide. Secret d'État! Tellement d'argent a circulé dans les cliniques de sang, légales et illégales, qu'il a été difficile de fermer le robinet du sang. Un conflit a opposé les autorités médicales de Pékin à celles du Henan. Un véritable charlatan déguisé en Dr Sun a parcouru les villages contaminés pour offrir sa médecine traditionnelle tout à fait fantaisiste. Pierre Haski a même écrit qu'un haut cadre du Henan a été promu au Bureau politique du parti au lieu d'être carrément limogé.

Cette «plongée dans l'envers du décor chinois» a le mérite de faire comprendre le sentiment d'insécurité éprouvé au cours d'enquêtes nocturnes en Chine rurale. Des documents traduits complètent le dossier. En conclusion, l'auteur critique non seulement le système de santé sous-financé mais aussi le système de contrôle super-fignolé de l'information chez Mao.

Passe toujours de cacher au monde extérieur un dérapage pour ne pas fermer le robinet des investissements, mais dans le domaine des épidémies, les frontières sont devenues trop poreuses pour penser pouvoir tout régler chez soi.

La Chine a pris les grands moyens pour enrayer la crise du SRAS en 2003 mais, dans le cas du sida, il y a peut-être là une bombe à retardement dépassant largement le Henan et ses 100 millions d'harojet Action Sida, est venu à l'Université Concordia il y a deux ans afin de fustiger le «désastre national». Télé Québec a diffusé l'an dernier Vivre malgré tout, le documentaire plutôt lugubre de Chen Weizhun sur le village de Wenlou, exclusivité sur le sujet.
bitants. Ne jetons toutefois pas trop rapidement la pierre à la Chine parce que les pays au-dessus de tout soupçons en la matière sont particulièrement rares.

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Le sang de la Chine. Quand le silence tue
Pierre Haski
Photos de Bertrand Meunier
Grasset, 229 pages